Grain de Sail est une solide goélette de 22 m de long qui porte 356 m2 de toile au près. Son gréement ressemble à tous points de vue à celui d’un grand yacht de plaisance. La volumineuse timonerie et le poste d’équipage installé derrière le cockpit indiquent que cette robuste coque d’aluminium n’a pas été assemblée pour capter l’attention des visiteurs d’un salon nautique. Sur le pont, une trappe ouvre l’accès vers une cale de chargement faire pour arrimer en toute sécurité 35 tonnes de fret en palettes.Le bateau a été conçu afin de maintenir dans la soute un contrôle adéquat de la température et de l’hygrométrie.
Dans le milieu du transport maritime, une telle capacité de charge représente un chiffre si minuscule qu’on a du mal à imaginer qu’un si petit navire puisse transporter quelque marchandise que ce soit à un tarif compétitif. Et pourtant. La PME bretonne précise que les consommateurs qui achèteront ses tablettes de chocolat maison ne devront contribuer que de 10 centimes d’euro supplémentaires pour rentabiliser le transport du cacao à bord.
Un tour de force, un coup de génie, une belle histoire, un rêve, un projet dans l’air du temps, toutes les définitions s’appliquent. Il aura fallu dix ans à trois entrepreneurs bretons pour matérialiser un projet que plusieurs auraient qualifié de pure utopie. Les frères Barreau, Jacques et Olivier, ne sont pas des rêveurs, mais des hommes d’affaire. C’est bien la raison pour laquelle Esprit de Sail n’est pas resté qu’un projet sur la planche à dessin. Il faut quand même préciser qu’Olivier Barreau possède deux titres de champion de France de voile à son actif, un passé qui laisse des traces dans la carrière d’un entrepreneur.
Le transport de marchandises à la voile s’est invité depuis une dizaine d’années en Europe dans la chaîne d’approvisionnement de produits de niche à forte valeur ajoutée comme le vin et les produits fins. Il faut se garder de parler de révolution vu les faibles volumes transportés, mais l’idée fait tranquillement son chemin dans un contexte international d’éco responsabilité. Les Bretons de Morlaix ne sont pas les seuls à avoir pensé au transport à la voile, mais ils sont néanmoins les premiers dans le monde à lancer respectant les normes sévères de la marine marchande.
L’éco responsabilité n’est pas qu’une vertu, c’est aussi un levier de marketing permettant de personnaliser un produit, de construire une image de marque auprès d’une clientèle de plus en plus préoccupée par les valeurs environnementales.
«En 2010, l’idée de départ, c’était de travailler sur un projet de transport maritime à la voile, explique Jacques Barreau. L’idée de devenir producteurs de café et de chocolats est venue après.» L’idée consistait finalement à créer un besoin de transport pour des marchandises à importer et à exporter. Avant de penser investir 1,5 millions € dans la démarche, il fallait d’abord démarrer une entreprise de production de café et la rentabiliser. Le petit atelier de torréfaction sur les bords de la rivière Morlaix a vu le jour en 2013. Il a réussi à placer son café équitable provenant d’Amérique du Sud dans les supermarchés de l’Ouest de la France. La petite manufacture de chocolat a vu le jour en 2016. Les frères Barreau devenaient du même coup les premiers Bretons à devenir des transformateurs de cacao. Le chiffre d’affaires grimpant, le projet de financer la construction d’un voilier cargo chez le chantier Alumarine est devenu possible en 2018.
La PME a développé un circuit de distribution constitué de 650 magasins qui générait des ventes de 5 millions € en 2020. Les besoins de main d’œuvre de la chocolaterie ont suscité la participation d’un établissement d’aide par le travail qui emploie des travailleurs en situation de handicap. Un volet social qui ne gâche rien à l’affaire, bien au contraire.
Le concept de transport s’articule autour d’un trajet triangulaire permettant d’exporter des produits vers l’Amérique du Nord avant d’aller charger du café et du cacao en Amérique du Sud et en Amérique Centrale pour les ramener sur les sites de production de Morlaix. Le voyage inaugural a débuté en novembre dernier au départ de Saint-Malo. La goélette est entrée au port de New York environ un mois plus tard avec une cargaison de 18 000 bouteilles de vin biologique qui finira sur des tables américaines. Elle a ensuite mis le cap sur l’Amérique centrale pour charger du cacao qu’elle ramènera en France. Le programme prévoit quatre rotations transatlantiques par an, programme logiquement limité par une vitesse de croisière moyenne de 8 nœuds. L’équipage se compose de quatre marins professionnels.
Avec la goélette Grain de Sail, la PME bretonne teste un modèle d’affaire appelé à se développer après le test des premières rotations nord-atlantiques.
Un second navire doté d’une capacité de fret de 250 tonnes est actuellement sur la planche à dessin. L’échéancier de réalisation prévoit la finalisation des plans pour le printemps 2021, la mise en chantier dès le début de 2022 et le lancement en 2023. Cette nouvelle unité d’une quarantaine de mètres de long devrait préfigurer la mise en service d’une flotte de sisterships. Ce second navire aura également pour vocation de former des marins à la manœuvre d’un voilier d’un fret, une formation que les écoles de marine marchande ne sont à ce jour pas en mesure d’offrir.
Parallèlement, Grain de Sail entend poursuivre son expansion sur le marché de la torréfaction et de la fabrication de chocolat. Un second site de production débutera ses activités en 2022 à Dunkerque afin de desservir les clientèles du Bassin Parisien, du nord de la France et de la Belgique. La suite du plan d’affaires s’articule autour du développement de succursales fonctionnant sur le même modèle dans plusieurs villes portuaires du littoral français avant d’exporter la formule sur la côte Est des États-Unis. L’exportation de vin à destination de l’Amérique du Nord constitue la pierre d’accise qui permettra le développement de la future flotte de cargos à voile engagée dans un commerce triangulaire basé sur le vin, le café et le cacao.
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