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L’épave de l’Erebus enfin découverte!

L’épave de l’Erebus enfin découverte!

Le 7 septembre 2014, le Service d’archéologie subaquatique de Parcs Canada annonçait la découverte de l’une des deux épaves de l’expédition de Sir John Franklin. Le 30 septembre, les archéologues confirmaient qu’il s’agissait bien du navire amiral de la mission, l’Erebus. C’était l’aboutissement d’une quête de 166 ans et le début d’une campagne de fouilles qui s’annonce passionnante.

 En 1848, sans nouvelle de l’Erebus et du Terror, les deux navires d’exploration qui ont quitté la Tamise en mai 1845, la marine anglaise débute ses premières opérations de recherche. Ces deux canonnières réarmées pour l’exploration arctique constituent l’expédition la mieux préparée que l’amirauté britannique ait jamais mise sur pied pour tenter de découvrir le passage du Nord Ouest. Les deux bâtiments d’une trentaine de mètres de long sont chacun équipés de moteurs de locomotives et d’hélices rétractables leur permettant de naviguer à 7 nœuds, une première pour l’époque. Les coques ont été renforcées, l’équipement du bord comprend un système de chauffage central et un autre de désalinisation de l’eau de mer. Partis avec trois années de vivres, les 129 hommes d’équipage sont confiants dans leur réussite, tout comme les responsables de la marine royale britannique.

À partir de 1848, les missions vont se succéder, jusqu’à en faire la plus grande opération de recherche jamais entreprise pour retrouver la trace de navires disparus. Une cinquantaine de tentatives, par mer depuis l’Atlantique et le Pacifique, par terre le long des rivages désolés du nord canadien, ne résoudront jamais l’énigme de la disparition des deux navires et de leurs équipages. Elles rapporteront tout au plus quelques indices et bribes d’information sur le sort fatal de l’expédition. Une note dans un cairn, un canot abandonné, quelques objets et des restes humains sont tout ce l’on retrouvera de la flotte de Franklin. Seul bénéfice à porter au crédit de cette tragédie qui blesse profondément l’orgueil de la marine anglaise, le capitaine Robert McClure, à l’occasion d’une mission de recherche, découvre en 1850 «le chaînon manquant» dans la géographie arctique qui confirme indubitablement l’existence du passage du Nord Ouest.

 Les archéologues sur la piste des Inuits

Robert Grenier, l’un des pionniers de l’archéologie subaquatique au Canada, s’intéresse dès les années 1980 à l’énigme de la disparition de l’Erebus et du Terror. De 1983 à 2008, il participe à six missions dans l’Arctique pour tenter de localiser les épaves. L’immensité du territoire à explorer et le peu d’informations disponibles génèrent des thèses contradictoires chez les historiens. Selon Ken McGoogan, il n’y a plus rien à trouver. Les bateaux ont été broyés dans les glaces, «pulvérisés et réduits en miettes… et s’ils avaient été quelque part, nous les aurions trouvé depuis le temps».

L’officier de marine canadien David C. Woodman n’est pas de cet avis. Il accomplit un travail remarquable en compilant et en analysant les récits de plusieurs explorateurs sur la piste de Franklin qui ont été en contact avec des Inuits. Son livre paru en 1991, Unravelling the Franklin Mystery, renforce la crédibilité des témoignages des Inuits issus de la tradition orale. Témoignages largement ignorés à l’époque victorienne où il n’était pas question d’accorder du crédit aux récits de «sauvages».

Les Inuits rapportent avoir vu un bateau emprisonné dans de la nouvelle glace à une journée de marche de Grand Point, sur la pointe nord-ouest de la péninsule d’Adélaïde. Ils ont baptisé le site Umiaqtalik, qui signifie «l’endroit du vieux bateau dans un archipel encombré». Ils indiquent également que le bateau a fini par couler et que ses mâts dépassaient de la surface de l’eau. Umiaqtalik se trouve à une centaine de milles au sud de la dernière position connue des deux navires.

«Ces informations s’avéraient extraordinaires pour nous» se souvient l’archéologue de Parcs Canada Robert Grenier. «Elles indiquaient que l’un des bateaux avait sombré dans une zone abritée des icebergs, puisque la glace n’avait pas raboté le gréement, et qu’il reposait dans de faibles profondeurs, puisque les mâts dépassaient de la surface. Ils décrivaient le site comme une série de pointes de terre s’avançant dans la mer, descriptions physiques qui correspondent exactement à la géographie du nord de la péninsule d’Adélaïde où l’on a finalement retrouvé l’Erebus» précise M. Grenier. «Le travail de Woodman nous a beaucoup aidé en nous mettant sur la piste des témoignages des Inuits et les faits ont démontré que nous avions eu raison de leur faire confiance» conclut l’archéologue.

 Six campagnes de fouilles

 

Le gouvernement fédéral, qui tient à marquer la présence canadienne dans l’Arctique pour des motifs à la fois politiques et économiques, finance en 2008 une première campagne de fouilles dans le secteur des îles O’Reily. Dès le départ, le Service d’archéologie subaquatique de Parcs Canada travaille en étroite collaboration avec le Service hydrographique du Canada qui manque cruellement de données bathymétriques dans l’Arctique. Seulement 10% des sondes figurant sur les cartes correspondent aux critères modernes et beaucoup de données sont complètement désuètes. Les missions des deux services sont tout à fait compatibles, hydrographes et archéologues utilisant des sonars pour documenter le fond marin. Une synergie qui permet de déployer des ressources techniques et logistiques importantes, qui incluent notamment la présence d’un brise-glaces. «Au début des recherches, nous avions constamment la crainte de nous faire couper les vivres. Nous savions que nous avions un immense territoire à couvrir dans un environnement difficile» se rappelle Marc-André Bernier, le chef du Service d’archéologie subaquatique.

Intérêts politiques aidant, loin de se faire couper les vivres, les archéologues verront la collaboration entres les autorités fédérales se renforcer au fil des années, leur offrant ainsi plus de chances de retrouver la trace de deux épaves parmi les plus recherchées du monde. Six campagnes de fouilles auront lieu de 2008 à 2014, la dernière s’avérant de loin la mieux dotée de toutes en ressources techniques et humaines.

Une petite armada de sept navires croise en effet dans le détroit de Victoria et le golfe de la Reine-Maud à l’été 2014 au cours de la plus longue campagne jamais organisée. Outre le brise-glaces Sir Wilfrid Laurier de la Garde côtière, la marine canadienne, l’Artic Research Foundation et le croisiériste One Ocean Expeditions ont déployé des navires en soutien logistique. La Société géographique royale du Canada et plusieurs fondations privées apportent également leur contribution à une entreprise devenue carrément une campagne d’affirmation nationale sur l’archipel arctique.

 Le rendez-vous du hasard et du succès dans la campagne de 2014

Durant la campagne 2014, archéologues et hydrographes comptent travailler conjointement sur deux secteurs géographiques éloignés de plus de 100 Km l’un de l’autre. Au sud, la portion nord-ouest du littoral de la péninsule d’Adélaïde et au nord, certaines parties du détroit de Victoria et des rivages adjacents des îles de la Royal Geographical Society et du Roi-Guillaume.

Habituellement, le détroit de Victoria se libère des glaces dans la dernière semaine du mois d’août. En 2014, le déglaçage tarde et confine les équipes sur le secteur sud jusqu’au début du mois de septembre. C’est un ancien bateau de pêche, le Martin Bergmann de l’Artic Research Foundation, qui est mis à contribution sur ce plan d’eau inaccessible au brise-glaces en raison de nombreux récifs et des faibles profondeurs. Ces mauvaises conditions climatiques font finalement s’avérer providentielles.

Chaque matin, archéologues et hydrographes planifient les zones d’investigation pour la journée. Par une de ces matinées du début septembre, l’hydrographe Scott Youngblut décide d’aller installer un GPS différentiels sur un îlot désertique au large de la péninsule d’Adélaïde. Comme d’habitude, deux archéologues embarquent aussi dans l’hélicoptère pour mener des fouilles à terre. Le pilote Andrew Stirling a accompagné des archéologues à maintes reprises et il est devenu familier avec leurs méthodes de travail. Il décide ce jour là de leur prêter main forte. Pendant que Douglas Stenton et Robert Park s’intéressent à ce qui ressemble à un vestige de campement, Stirling patrouille sur le rivage. Du coin de l’œil, il aperçoit derrière un rocher une pièce métallique en forme de fourche d’une quarantaine de cm de long.  Sur la plage, il découvre aussi des pièces de bois semi-circulaires d’une trentaine de cm de diamètre contenant des clous forgés. Détail capital qui n’échappe pas aux archéologues, la pièce métallique porte une large flèche gravée, marque de propriété de la marine anglaise…

Les pièces sont transportées à bord du Sir Wilfrid Laurier où les archéologues de Parcs Canada Ryan Harris et Jonathan Moore consultent l’abondante documentation qu’ils possèdent sur l’Erebus et le Terror. La fourche métallique s’avère être un élément du bossoir qui servait à lancer la chaloupe, tandis que les pièces de bois ont toutes les apparences du tampon de l’écubier du puits d’ancre. C’est la première fois que l’on retrouve des objets aussi significatifs de la présence d’un navire sur le littoral.

Dès le lendemain, Moore et Harris patrouillent les eaux littorales à bord de la petite vedette Investigator qui remorque un sonar. Quand, dans 11 m d’eau, la clarté de l’image du sonar fait apparaître la silhouette de ce qui ne peut être qu’un bateau reposant sur le fond, les deux archéologues savent qu’ils viennent de gagner la partie. Et qu’ils ont sous leurs yeux ce que des dizaines d’explorateurs arctiques ont cherché avant eux pendant des années. Une découverte qui suscite un immense sentiment d’accomplissement pour toute l’équipe d’archéologie subaquatique de Parcs Canada. «Je n’ai pas pu m’empêcher de pleurer» dira Marc-André Bernier venu sur place pour corroborer l’hypothèse de ses camarades.

Les images sous-marines rapportées par la suite au moyen d’un véhicule téléguidé montrent une épave posée à l’endroit, à la coque presque intacte dans un état de préservation exceptionnel. Les plongées subséquentes et plus tard la découverte de la cloche du navire permettront d’identifier formellement l’Erebus, le navire amiral de l’expédition de Franklin. Une autre aventure vient de commencer.

 Que nous apprendra l’épave de l’Erebus?

Les archéologues seront de retour à l’été 2015 pour débuter les fouilles sur un site dont la localisation est toujours gardée secrète de peur d’attirer la convoitise des pilleurs d’épaves professionnels.

Toutes sortes de théorie ont circulé pour expliquer la déconfiture des deux équipages, pourtant fort bien équipés en vivres et matériel. D’autres expéditions moins bien nanties et menées dans l’Arctique à la même époque ont réussi à se tirer d’affaire, même après être restées bloquées dans les glaces plusieurs saisons. Les auteurs Owen Beattie et John Geiger ont avancé la thèse du botulisme pour expliquer la mauvaise santé des marins. Une version aujourd’hui mise en doute. Une autre hypothèse avance que la tuyauterie en plomb du système de désalinisation aurait été à l’origine de sévères intoxications.  De son côté, David C. Woodman prétend que les équipages ont dans un premier temps quitté les navires pour les réinvestir par la suite.

Les fouilles permettront peut-être d’élucider les circonstances du désastre et de corroborer certains récits des Inuits. Y trouvera-t-on des restes humains permettant d’effectuer des analyses ? Mais surtout l’Erebus renferme-t-il des documents écrits qui permettraient d’enfin documenter la fin tragique de l’expédition ? On a déjà retrouvé à bord d’épaves des journaux de bord scellés dans des tubes métalliques, d’autres enfouis sous la vase et les sédiments, mais encore lisibles.

La structure de l’épave sera dans un premier temps numérisée en trois dimensions par un scanner au laser développé spécifiquement pour les besoins des archéologues. L’appareil permettra non seulement d’analyser la structure en détail, mais aussi d’identifier tous les objets qui se trouvent à l’intérieur de l’épave. Une démarche préalable à la visite des plongeurs à l’intérieur du navire.

Et la recherche se poursuivra également au nord du détroit d’Alexandra pour tenter de retrouver la trace du Terror. La quête des navires de Franklin n’est pas encore terminée.

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