On a appris en mai dernier à l’occasion du Symposium béluga 2023 que la population de cette espèce en voie de disparition était deux fois plus élevée que ce qu’on le pensait auparavant. Des données à la fois plus récentes et plus fiables indiquent que la population compte entre 1600 et 2200 individus, au lieu des 900 de la précédente estimation.
Une excellente nouvelle qui permet de renforcer l’espoir que ces animaux puissent passer à travers la pluralité de difficultés qui menace leur survie, mais qui ne change en aucune façon les facteurs de stress qui pèsent sur l’espèce. «Notre niveau d’inquiétude demeure le même» indique Robert Michaud, le directeur scientifique du GREMM. Si la population, désormais épargnée par la chasse, était en bonne santé, son nombre devrait augmenter de manière très significative au fil du temps. Ce qui n’est pas du tout le cas. Le nombre d’individus suit de légères fluctuations à la hausse ou à la baisse selon les périodes considérées.
Le décompte s’effectue par observation aérienne en quadrillant l’aire de répartition des cétacés à une altitude de 3000 pieds. Il faut appliquer un facteur de correction pour tenir compte des individus en plongée au moment de l’observation. Les premiers dénombrements ont débuté en 1988 et l’avant-dernier a été réalisé en 2014. Les connaissances acquises depuis 2014 ont permis de raffiner les facteurs de correction en tenant compte de plusieurs paramètres, notamment au moyen d’indicateurs géographiques. La communauté de chercheurs suit très attentivement les déplacements des différents troupeaux et a pu identifier les secteurs où les plongées sont les plus fréquentes et/ou les plus longues. On connaît aussi les zones de repos où les animaux sont plus visibles. L’observation au moyen des drones est venue à ce titre apporter de nouvelles données particulièrement précieuses. La pose d’émetteurs a révélé des plongées plus profondes qui durent plus longtemps que ce que l’on estimait auparavant. En corrélant d’autres éléments tel que la turbidité de l’eau ou encore les taux de mortalité des juvéniles, les chercheurs ont pu appliquer des facteurs de correction des observations beaucoup mieux pondérés qui livrent des résultats plus près de la réalité. «On a fait des pas de géant grâce à des outils auxquels nous n’aurions pas rêvé voilà 10 ans» explique Robert Michaud. La recherche profite aujourd’hui d’une cueillette de données plus fines telles que la mesure des tours de taille des femelles enceintes, des biopsies pour l’analyse des graisses, ou encore l’enregistrement des mouvements par les sondes placés sur les individus.
La morphologie des bélugas pose en revanche des défis particuliers. Alors que l’on est en mesure d’identifier individuellement les grands cétacés, les bélugas, dépourvus de nageoire dorsale et ne dévoilant pas leur queue au moment de plonger, sont particulièrement difficiles à différencier les uns des autres. L’album de famille se limite à l’identification d’un mâle sur cinq et d’une femelle sur six.
«La situation de la population peut-elle évoluer plus vite que nos outils permettent de le discerner?» s’interroge Robert Michaud. Une épizootie peut affecter une espèce de manière catastrophique, comme ce fut le cas avec la floraison d’algues rouges en 2008 qui a emporté d’un seul coup huit nouveaux nés et une dizaine d’adultes. «Les bélugas du Saint-Laurent sont isolés et ne peuvent pas compter sur l’immigration pour se rétablir. La taille actuelle de la population constitue toujours un facteur critique» ajoute le chercheur.
Un coup de main technologique
L’étude des impacts sonores sur le comportement et la santé des bélugas constitue d’autres pistes de recherche importantes. Au cours des dernières années, on a pu documenter les signatures acoustiques de différents types de navires, en mesurant les fréquences et les amplitudes des ondes sonores. Les relevés acoustiques indiquent que les animaux communiquent sur des fréquences plus aigües et répètent leurs phrases pour passer au travers du brouillard sonore généré par les navires. L’équipe du professeur Clément Chion de l’UQO a mis au point le simulateur 3MTSim. L’algorithme introduit des navires en déplacement et des troupeaux de bélugas pour mesurer différents scénarios d’exposition aux ondes sonores du trafic maritime.
On a déjà pu documenter des modifications de comportement induites par les navires de commerce dans le Saguenay. Une journée après le passage d’un gros navire, les bélugas sont moins nombreux dans le fjord. Et l’impact augmente encore lorsque plus d’un gros bâtiment transite sur la rivière. «Nous n’avons pas toutes les informations, mais nous tenons des pistes» indique Robert Michaud. «On sait que le bruit génère du stress, gêne la recherche de nourriture, induit une plus grande dépense d’énergie et finit par nuire au système de reproduction. Or, pour que la reproduction fonctionne, la femelle doit être en forme. Si elle manque d’énergie, il y a échec de la fécondation » précise le chercheur.
Créer des refuges acoustiques
Pour des espèces qui comptent sur l'écholocalisation pour conserver la cohésion du groupe, identifier leurs proies et rechercher leurs partenaires sexuels, le bruit sous-marin constitue une menace à prendre très au sérieux. «Il est vrai que certains nouveaux navires sont moins bruyants, mais les armateurs n’ont pas encore choisi de construire des bateaux silencieux. On va attendre des décennies pour voir la Voie maritime plus calme» constate Robert Michaud.
La solution, Robert l’envisage sur la rive sud du fleuve, dans les secteurs de Cacouna, Kamouraska et du Bic, des zones régulièrement fréquentées par plusieurs troupeaux et où la navigation commerciale est presque absente, et la plaisance plutôt discrète. Il souhaite que ces secteurs deviennent des refuges acoustiques où l’on assurerait aux animaux la pérennité d’un environnement dénué de perturbations sonores.
Une autre initiative vise à diminuer l’impact des croisières d’observation aux baleines en offrant une alternative moins intrusive. Fenêtre sur les bélugas est un projet d’observation terrestre où le public pourra regarder des images de drone captées depuis la Grande Île de Kamouraska, de la baie Sainte-Marguerite dans le Saguenay, ainsi qu’à bord d’un bateau de recherche du GREMM. Ces séquences vidéo accompagnées de captation sonore par hydrophones seront retransmises en direct sur la colline de Gros-Cacouna, au centre d’interprétation de Pointe-Noire et à celui des mammifères marins de Tadoussac, le CIMM. La construction par la nation Wolastoqiyik de la plateforme d'observation du béluga à Cacouna est déjà bien entamée et ouvrira ses portes au public en 2024.
Même si la flotte d’observation aux baleines s’est réduite de 40% par rapport aux années 2000 et que les opérateurs soient généralement respectueux de la réglementation, il existe encore des gains notables à faire dans ce secteur d’activité. Moins il y aura d’embarcations en navigation dans l’habitat du béluga, mieux il se portera nous disent les scientifiques.
D’après une entrevue réalisée avec Robert Michaud, directeur scientifique du Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins (GREMM).
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