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L’industrie pétrolière s’invite dans le Saint-Laurent

L’industrie pétrolière s’invite dans le Saint-Laurent

Au tournant des années 2000, l’exploitation pétrolière dans le Saint-Laurent – protégé par un moratoire – faisait figure de mauvais rêve improbable. La ruée vers les ressources naturelles a complètement bouleversé la donne et l’on se demande aujourd’hui quel scénario nous pend au nez. Rumeur d’exploitation pétrolière sur le gisement de Old Harry dans le golfe du Saint-Laurent à moins de 50 milles des îles de la Madeleine, forage exploratoire sur l’île d’Anticosti et projet de construction d’un port pétrolier à Cacouna en plein cœur de l’estuaire, tout un chambardement.

Le récent projet de TransCanada sur le site de Gros-Cacouna a déclenché ce qu’on peut déjà appeler la bataille des bélugas. « Je veux voir un avis scientifique sur l'ensemble du projet, que pensent les scientifiques de Pêches et Océans ? Je me doute un peu de ce qu'ils pensent. Je suis certain qu'ils sont muselés » a déclaré Pierre Béland, scientifique et vulgarisateur qui a passé une bonne partie de sa carrière à étudier les baleines blanches.

Réduire le personnel scientifique au silence fait partie de la politique obscurantiste mise en place par les Conservateurs afin de faciliter le transit du pétrole albertain vers l’Atlantique. Le gouvernement Harper prépare méthodiquement le terrain depuis plusieurs années. La première salve a consisté à amputer la loi sur l’habitat du poisson de manière à permettre aux pipelines de pouvoir franchir librement le lit des rivières sans aucune contrainte environnementale. On a par la suite fermé, sans autre forme de procès, tous les laboratoires d’écotoxicologie qui étudient la contamination chimique des milieux aquatiques.

Des trois grands projets de pipelines qui doivent distribuer le pétrole albertain aux quatre coins de l’Amérique, seul celui d’Énergie Est a de bonnes chances de se réaliser. Barack Obama n’est vraiment pas pressé de donner le feu vert à Keystone XL en direction du golfe du Mexique. Quant au gouvernement britanno-colombien, il pose de multiples conditions à la réalisation de Northern Gateway en direction de Kitimat. Outre la farouche opposition des Autochtones, la Colombie-Britannique veut en plus obtenir des redevances.

Le gouvernement Harper a mis toutes ses billes économiques dans l’immense projet industriel qui veut faire du Canada la plus grande station service du monde. La pression est immense pour faire couler le pétrole bitumineux d’Alberta le plus rapidement possible vers le Saint-Laurent et Saint-Jean du Nouveau-Brunswick. Les bélugas qui viennent mettre bas au printemps devant Cacouna ne pèsent pas lourd dans la balance. Et l’éloquent silence de Québec semble indiquer que notre gouvernement provincial ne mettra pas beaucoup de bâtons dans les roues de TransCanada.

Les communautés riveraines qui tirent une bonne part de leurs revenus du tourisme voient les choses d’un autre œil. Outre les dangers d’un éventuel déversement, l’intrusion de l’industrie pétrolière est fort mal venue dans l’estuaire où l’on mise d’abord sur le capital naturel comme moteur touristique.

On leur répliquera avec raison que deux pétroliers accostent chaque semaine au terminal de Lévis depuis de nombreuses années sans que l’on ait, jusqu’à présent, connu de sérieux problèmes de déversement pétrolier dans le fleuve. Sur le futur terminal de Cacouna où arriveront 1 million de barils chaque jour, on prévoit le chargement de deux à quatre pétroliers par semaine. Une situation qui fera doubler ou tripler le transit de matière pétrolière dans le fleuve.

Sans verser dans le catastrophisme, on ne peut ignorer le danger relié au transport du pétrole dans un milieu naturel aussi sensible et aussi fermé d’un point de vue géographique. Or, de récentes études ont démontré qu’il n’existe pas de plan coordonné pour parer à un déversement pétrolier dans le Saint-Laurent, pas plus qu’il n’existe de données solides sur le comportement de nappes de pétrole en condition hivernale. Émilien Pelletier, directeur de la Chaire de recherche du Canada en écotoxicologie marine à l'Institut des sciences de la mer à Rimouski renchérit sur ce point. «Nous sommes encore avec des barricades et des systèmes de pompage. Il n'y a pas presque pas eu de progrès depuis 30 ans dans la récupération du pétrole. Que ferions-nous s'il y avait un déversement de pétrole en présence de glace qu'il provienne d'un port, d'un pétrolier ou d'une plate-forme? On a pratiquement les mains liées avec les techniques que je connais actuellement.»

L’appétit des pétrolières conjuguée à l’urgence de rescaper la stratégie industrielle du gouvernement fédéral pousse les acteurs à faire fi du principe de précaution. Pourquoi n’a-t-on pas attendu la fin de la mise bas des veaux pour procéder à des levées sismiques à Cacouna ? Ça aurait été la moindre des choses pour aider la population de bélugas dont le déclin est hélas désormais documenté. Pourquoi les gouvernements fédéraux et provinciaux n’ont-ils pas encore mandaté une étude sérieuse sur la manière de répondre à un déversement accidentel dans le fleuve et le golfe? De quels moyens physiques et techniques faudrait-il disposer pour parer à telle éventualité? Quels niveaux de risques cette stratégie pétrolière fait-elle peser sur le fleuve Saint-Laurent et quels bénéfices nous reviendront? Pour le moment, la liste des questions ne cesse de s’allonger, mais les réponses ne viennent pas vite.

Michel Sacco

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