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De graves lacunes dans le sauvetage des baleines au Québec

De graves lacunes dans le sauvetage des baleines au Québec

Même si les baleines sont nombreuses à fréquenter les eaux québécoises et qu’elles font vivre toute une industrie touristique, il n’existe ici aucune équipe en mesure d’intervenir pour leur venir en aide si elles se retrouvent empêtrées dans des engins de pêche. Les experts des cétacés espèrent convaincre le gouvernement fédéral d’agir, d’autant plus que de telles équipes existent dans d’autres provinces.

Octobre 2017. Jacques Gélineau se trouve à bord d’une embarcation, au large de Sept-Îles. L’homme, qui connaît bien ce secteur, tombe face à face avec une jeune baleine à bosse empêtrée dans un engin de pêche. Un câble fait le tour de l’animal plusieurs fois, notamment directement sur l’évent, mais aussi près de la nageoire dorsale.
Le problème, déplore aujourd’hui M. Gélineau, c’est que Pêches et Océans Canada (MPO) n’est pas intervenu pour libérer le cétacé. « L’animal n’a pas été dépêtré parce que quand l’équipe est arrivée sur place, le lendemain, elle n’a jamais retrouvé la baleine », déplore-t-il au Devoir.
Interpellé sur ce cas, le ministère fédéral reconnaît qu’il n’a pas été en mesure de localiser la baleine. Informé de la situation, le MPO a toutefois lancé une « opération pour retrouver l’animal », et ce, dès le lendemain du signalement par M. Gélineau. « Les agents des pêches ont patrouillé dans le secteur pendant plus de cinq heures sans succès pour retrouver l’animal. Le mauvais temps et le vent nous ont obligés à suspendre nos opérations. La baleine n’a jamais été revue par la suite », explique le ministère, dans une réponse écrite.
Même si l’animal avait été localisé, il aurait par la suite fallu faire appel à « un expert en dépêtrement de Terre-Neuve », reconnaît le MPO. Une situation que dénonce Jacques Gélineau. Selon lui, si une équipe spécialisée dans ce type d’opération avait été disponible dans la région, il aurait été possible de tenter rapidement une intervention pour sauver la baleine à bosse.

Intervention impossible
Une telle option est toutefois impossible, puisqu’aucune équipe formée et autorisée à intervenir n’existe au Québec, et ce, même si les cétacés sont omniprésents une bonne partie de l’année dans la portion québécoise du Saint-Laurent. Même au coeur du parc marin du Saguenay–Saint-Laurent, créé en bonne partie pour protéger l’habitat des cétacés, aucune personne n’est en mesure de libérer des animaux. « Le personnel du parc marin du Saguenay–Saint-Laurent n’a pas l’expertise et n’est pas autorisé à intervenir pour dépêtrer une baleine », admet d’ailleurs la direction du parc marin.
Que se passe-t-il si une baleine est retrouvée empêtrée au Québec ? « Le ministère peut faire appel aux groupes d’intervention liés par contrat dans les autres régions et étendre la validité de leur permis pour couvrir les eaux du Québec », répond le MPO. Des équipes existent à Terre-Neuve, mais aussi au Nouveau-Brunswick. Leur éventuelle intervention est décidée au cas par cas.
Pourtant, jusqu’à récemment, les agents des pêches du MPO étaient autorisés à intervenir dans les eaux du Québec, comme ailleurs au Canada. « Il y a eu une décision à Pêches et Océans selon laquelle les agents des pêches ne pourraient plus faire d’opérations de dépêtrement. C’est une décision qui est liée aux enjeux de sécurité, mais aussi de formation, etc. Ça nous a laissés, au Québec, avec une situation où il n’y a plus de capacité de réponse et pas d’options faciles », explique Robert Michaud, directeur scientifique du Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins.

Urgence d’agir
S’il souligne que les cas de baleines empêtrées sont relativement rares, M. Michaud estime tout de même qu’il y a « urgence » de retrouver la capacité d’intervenir dans certains cas. Il cite en exemple les situations qui ont besoin d’une action « urgente », soit celles impliquant des petits rorquals ou des baleines à bosse.
Ces deux espèces, qui représentent une part importante des observations des touristes à bord des bateaux de l’industrie des croisières, ont une moins grande résistance physique lors des empêtrements dans les engins de pêche. Il importe donc de pouvoir leur prêter secours rapidement.
Selon M. Michaud, il faudrait également que le Canada se dote d’une meilleure capacité d’intervention pour les cas les plus problématiques, c’est-à-dire ceux qui impliquent des grands rorquals ou des baleines noires. Pour ces dernières, il existe présentement un moratoire complet sur les interventions depuis le décès l’été dernier de Joe Howlett, un homme qui avait pourtant une grande expérience dans le sauvetage des baleines, et notamment des baleines noires. Une enquête est toujours en cours sur les causes de cet accident tragique, mais une chose est connue : ces bêtes sont réputées très agressives lorsqu’elles sont empêtrées.
Robert Michaud rappelle d’ailleurs que les équipes de sauveteurs comme celle de Campobello, au Nouveau-Brunswick, dont faisait partie Joe Howlett, « travaillent avec des moyens dérisoires ». « Ces gens-là font ça de façon bénévole parce qu’ils se sentent interpellés par la situation de ces baleines, et leur travail est exceptionnel. Ils ont inventé des solutions. Mais il leur faudrait un meilleur soutien. Même si le Canada est le berceau de cette expertise, les intervenants ne sont pas bien soutenus à l’heure actuelle. »

Manque de volonté
Un point de vue que partage Richard Sears, un expert des grands rorquals, mais aussi le président et fondateur de la Station de recherche des îles Mingan (MICS). Il va même plus loin. Selon lui, il n’y a pour ainsi dire « aucun soutien du gouvernement » pour le dépêtrement, notamment au Québec. « Il nous faudrait des moyens techniques et financiers, par exemple des bateaux dédiés à ces opérations, possiblement sur la Côte-Nord et en Gaspésie. Mais il y a un manque de volonté politique pour améliorer les moyens pour le dépêtrement. »
L’urgence est d’autant plus évidente, du point de vue de Richard Sears, que le problème des empêtrements des animaux serait beaucoup plus sérieux qu’on ne le croit. « Nous avons plusieurs photos où on voit des rorquals bleus ou des rorquals communs avec des cicatrices. Donc, on sous-estime énormément le nombre d’animaux qui se prennent dans des engins de pêche. Avant, on évaluait leur nombre à 10 % ou 15 %. Mais maintenant, on estime que le taux pourrait être de 40 %, voire de 50 %. »
Robert Michaud juge toutefois que le gouvernement fédéral est de plus en plus conscient de l’importance de mieux protéger les cétacés, mais aussi les milieux marins. Il cite en exemple le plan national de protection des océans, doté d’une enveloppe de 1,5 milliard de dollars, mais aussi les investissements de 168 millions de dollars annoncés dans le plus récent budget. Ce montant sera consacré précisément à la protection des espèces de baleines menacées.
Il faut dire qu’Ottawa doit, par ailleurs, assurer la poursuite des exportations des produits de la mer vers les États-Unis. Or, les Américains ont annoncé l’an dernier que l’industrie de la pêche devra démontrer qu’elle prend les moyens pour protéger les mammifères marins. À défaut de quoi, elle ne pourra plus vendre sa production dans le lucratif marché de nos voisins du Sud.

Sources: Alexandre Shields - Le Devoir

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